Air France célèbre le 75ème anniversaire de la liaison Paris-Toulouse-Dakar
samedi 11 juin 2011
Roume, né à Marseille, polytechnicien, maître des requêtes au Conseil d’Etat, a été gouverneur de l’AOF en 1902. C’est à lui que l’on doit le transfert de la « capitale » de cet ensemble régional de Saint-Louis à Dakar où il entreprendra les travaux de réalisation du port en eau profonde. Et aujourd’hui encore une des principales artères de la ville porte son nom. Rapatrié en France en 1908, il va s’illustrer au sein de conseils d’administration d’entreprises « coloniales », en Afrique et, surtout, en Indochine dont il sera nommé gouverneur général en 1915. Fondateur de la compagnie Air Orient (à qui Air France a emprunté son premier logo : l’hippocampe ailé), il deviendra le premier président de la nouvelle compagnie et le restera jusqu’en 1935 (il sera remplacé par Paul Tirard, ancien collaborateur de Lyautey au Maroc). Passionné d’Afrique, militant opiniâtre du Transsaharien (il traversera le Sahara en avion en 1933 à l’âge de 75 ans, avec sa fille Lucie), président de l’Ecole coloniale, membre actif de l’Académie des sciences coloniales (aujourd’hui « sciences d’Outre-Mer »), il confiera la vice-présidence de la compagnie à son gendre, Louis Allègre, commandant de sous-marins pendant la Première guerre mondiale, pionnier de l’aviation commerciale dans le Sud-Est asiatique.
Dans les années 30, l’Afrique est encore une terre de « découverte » pour les Européens et l’aviation est une aventure humaine avec ses exploits et ses drames. Dakar est née à l’aviation avec La Ligne inaugurée le 1er juin 1925 au départ de Toulouse. 25 heures de vol pour rejoindre les deux villes en passant par Barcelone, Alicante, Malaga, Tanger, Rabat, Agadir, Cap-Juby, Villa Cisneros, Port-Etienne, Saint-Louis. Le 12 mai 1930 sera lancé le premier service postal 100 % aérien France-Amérique du Sud grâce à la liaison Dakar-Natal, l’Aéropostale ayant pris (en 1927) la suite de La Ligne. Louis Mermoz périra aux commandes du Croix-du-Sud, à 800 kilomètres au large de Dakar, le 7 décembre 1936, quelques mois après l’inauguration de la ligne Paris-Toulouse-Dakar, alors qu’ Air France a repris ce qui restait de l’Aéropostale à la suite de sa mise en faillite (les pionniers sont rarement de bons gestionnaires).
En 1936, la première liaison commerciale hebdomadaire Paris-Dakar a été assurée avec un trimoteur Dewoitine 338 capable de transporter 15 passagers à 265 km/h (des trimoteurs Wibault 283, moins rapides, seront également mis en exploitation sur cette ligne) ; il fallait vingt heures de vol pour relier les deux villes. Air France, société anonyme, sera nationalisée au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, le 26 juin 1945. Alors que l’activité « coloniale » connaît un nouveau souffle, l’Afrique va rester une destination majeure pour la compagnie qui y diversifiera ses activités en créant la chaîne hôtelière des Relais aériens français (qui deviendra, par la suite, la société des Hôtels Méridien).
Malgré la montée en puissance de UTA (filiale des Chargeurs réunis née en 1963 et rachetée par Air France en 1990), les indépendances, la création de Air Afrique… Air France va rester une société « sénégalaise » conservant Dakar dans son patrimoine aérien malgré la perte de plus de la moitié de son trafic continental. La compagnie nationale ne dessert plus, dans les années 1960, que Dakar en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, Casablanca, Oran, Alger, Tunis et Le Caire en Afrique du Nord, Djibouti, Nairobi, Dar es Salaam et Tananarive en Afrique de l’Est et dans l’Océan Indien. C’est encore Dakar qui sera la première destination commerciale du Concorde sur la route de Rio de Janeiro. Les « héros » de ce premier vol commercial supersonique s’appelaient Pierre Chanoine, Pierre Dudal, André Blanc dans le cockpit, Jean-Paul Boucher, Elsa Drouet, Daniel Blot, Nicole Chabrier, Michèle Vallée et Gérald Fortier en cabine. A Dakar, c’est le président Léopold Sédar Senghor qui accueillera le Concorde.
Le 75ème anniversaire de la desserte commerciale de Dakar par Air France fait actuellement - et pendant un mois - l’objet d’une exposition dans le cadre de l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) Théodore Monod, dans la capitale sénégalaise. L’occasion pour Etienne Rachou, le directeur général délégué de la compagnie, de rappeler la « place éminente que le Sénégal occupe dans l’histoire de la compagnie », l’Afrique étant « constitutive de son identité ». Dakar c’est, aujourd’hui, 180.000 passagers par an pour Air France, ce qui fait de cette destination un des musts de la compagnie tandis que l’Afrique assure encore 15 % du chiffre d’affaires de Air France-KLM. C’est pourquoi la compagnie française a tenu à réaffirmer, à Dakar, qu’elle « est et restera toujours fidèle » au continent. Dans cette perspective, Rachou a proposé aux autorités sénégalaises une coopération, via Air France consulting (société du groupe chargée de transférer le savoir-faire), dans le développement de Sénégal Airlines.
Rachou, entré chez Air France en 1979, a été son directeur général Afrique et Moyen-Orient à compter de 2007. Il a nommé directeur général délégué en avril 2010 et remplacé à son poste par un autre HEC, également entré chez Air France en 1979, Pierre Descazeaux. Les deux hommes ont fait le déplacement à Dakar à l’occasion du 75ème anniversaire, c’est dire l’intérêt que la compagnie porte à la desserte du Sénégal et à l’image africaine que symbolise Dakar dans la culture aéronautique européenne. On ne s’en étonnera pas. Le Figaro, l’an dernier (10 juin 2010), se faisait l’écho d’un rapport confidentiel établissant qu’en 2008-2009 neuf des dix lignes les plus rentables de la compagnie ont été africaines. Des lignes sur lesquelles Air France était en situation de quasi monopole. La Tribune (30 septembre 2010) écrivait que ces lignes africaines étaient « la vache à lait historique » de la compagnie française qui assure 26 % des capacités entre l’Europe et l’Afrique loin devant British Airways-Iberia (12,5 %) et Lufthansa (10 %). Or Lufthansa a entrepris d’améliorer ses performances sur un marché juteux compte tenu de sa clientèle « d’affaires » (à destination notamment des pays pétroliers du Golfe de Guinée) : 40 destinations africaines depuis la France ; pas mal pour une compagnie… allemande ! Air France a riposté avec le plan « Léopard ». « Il a permis de visualiser ce qui a été fait ces dernières années en Afrique, et surtout de mettre l’accent sur ce qui doit être réalisé pour faire encore mieux », a précisé Descazeaux à Stéphane Ballong (Jeune Afrique - 14 novembre 2010).
Les projets africains sur le marché continental suscitent aussi l’intérêt des compagnies européennes. Après l’échec de Air Sénégal International (en partenariat avec Royal Air Maroc, présente au capital et dans le management), Dakar a lancé Sénégal Airlines qui a effectué son premier vol commercial le 25 janvier 2011 vers Conakry (en partenariat avec Emirates mais sans participation au capital). L’objectif est d’abord régional ; ce qui pourrait intéresser les compagnies internationales qui ont besoin de « relais » locaux. D’où la proposition de Air France d’aider au développement de Sénégal Airlines. 75 ans après le premier vol commercial entre Paris et Dakar, la capitale sénégalaise demeure un pôle d’ancrage essentiel pour les compagnies aériennes internationales ! Et une leçon d’histoire…
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique